Nos maladies "de société" seraient la conséquence d'un processus inflammatoire de bas niveau qui s'installerait dans l'organisme sur des années. En cause : un déséquilibre des populations bactériennes qui habitent notre intestin…
Sommaire
- Une flore spécifique de la maladie ?
- 18 groupes de bactéries
- Un patrimoine individuel
- Gérer ses bactéries
- Certaines créent de l'inflammation
- Couverture radar défectueuse
- Des signaux précurseurs
- Une nouvelle spécialité : inflammologue ?
Les maladies métaboliques et neurodégénératives (diabète, Alzheimer, Parkinson, certains cancers et autres) se déclencheraient après plusieurs années d'inflammation chronique due à un déséquilibre de la flore bactérienne intestinale (microbiote intestinal). C'est la conclusion que tire Réginald Allouche*, diabétologue, médecin et ingénieur, de son expérience dans le domaine du diabète.
Une flore spécifique de la maladie ?
"Lors d'une étude sur des souris diabétiques, les chercheurs ont transplanté la flore bactérienne intestinale des souris diabétiques à des souris non diabétiques. Après quelques jours, les souris non diabétiques sont devenues diabétiques également, sans avoir modifié leur régime alimentaire. Il y a donc bien une flore "diabétique". La même expérience a été pratiquée sur des souris obèses et a donné les mêmes résultats."
18 groupes de bactéries
Les études sur le microbiote intestinal sont récentes (voir : L'intestin : un rôle stratégique dans notre santé). Réginald Allouche est persuadé de l'importance de ce champ de recherche. "La flore bactérienne intestinale nous apportera plus dans les 50 prochaines années qu'en 20 siècles de médecine."
La flore de l'intestin grêle sécrète des vitamines, digère sucres et graisses. Celle du côlon fermente les aliments pour aider à réabsorber ce qui n'a pas été capté par l'intestin.
On a recensé à ce jour 18 types de bactéries intestinales différents dans l'espèce humaine dont les trois principaux sont les firmicutes, les bacteroidetes et les provotella. "Mais je pense qu'il y en a bien plus", affirme Réginald Allouche. On dénombrerait plus de 1 000 espèces différentes, il y en aurait une tous les centimètres dans l'intestin !
Un patrimoine individuel
"C'est un patrimoine individuel, presque équivalent au patrimoine génétique. C'est pourquoi il faut être très gentil avec sa flore !"
Normalement, nous avons la flore bactérienne intestinale de nos géniteurs. "Si vous naissez par les voies naturelles, lorsque votre nez passe devant l'anus de votre mère, vous acquérez la flore bactérienne de vos parents. Mais si vous naissez par césarienne, vous pouvez sortir de la maternité avec la flore bactérienne… du personnel soignant !" D'où l'importance pour les nourrissons des attouchements, des bisous, de l'allaitement… Le microbiote intestinal est constitué vers l'âge de deux ou trois ans. Ensuite il peut varier à la marge, de 10 à 20 %.
Gérer ses bactéries
C'est sur cette marge que nos comportements jouent un rôle fondamental : nous pouvons renforcer ou non certains groupes en modifiant nos habitudes. Se nourrir mal veut dire : mal nourrir sa flore (voir encadré).
"Quand on favorise une alimentation riche en graisse, par exemple, on sélectionne des germes qui vont croître et multiplier parce qu'ils ont un tropisme fort pour les acides gras. Quand une colonie de germes commence à prendre sa place et qu'elle se sent solide, elle crée un biofilm, un système de défense quasi étanche contre les antibiotiques et les éléments qui pourraient provoquer la disparition de la colonie. On a montré, par exemple, que les personnes qui avaient ce type de colonies avaient beaucoup plus de risques de cancer du côlon que les autres."
Certaines créent de l'inflammation
La flore bactérienne intestinale envoie des messages au cerveau, notamment par l'intermédiaire d'une substance : l'interleukine 6 (IL6). "L'IL6 est un marqueur extraordinaire, c'est Dr Jekyll et Mr Hyde. Quand on fait de l'exercice physique, le cerveau en sécrète un peu, ça lui fait du bien. Mais quand il dépasse une certaine quantité c'est extrêmement inflammatoire."
Lorsqu'on a, par exemple, un régime trop riche en sucres et en viande, le rapport entre deux populations de bactéries, les firmicutes et les bacteroidetes augmente. "Or plus vous avez de firmicutes, plus c'est inflammatoire. Dans le cadre du diabète, on a un taux firmicutes/bacteroidetes beaucoup plus important que le taux classique. Par ailleurs la consommation de sucre favorise les provotella qui sont aussi inflammatoires et provoquent une prolifération des levures dans l'organisme. Or plus on a de levures, plus on vieillit."
Couverture radar défectueuse
Résultat : on constitue au fil du temps une maladie inflammatoire de bas niveau qui diminue l'efficacité du système immunitaire.
Réginald Allouche compare ce dernier à une armée en campagne contre les germes ennemis qui développe une sorte de couverture radar permettant de détecter le danger. Le problème est qu'une inflammation chronique de bas niveau demande au système immunitaire d'être en permanence prêt pour la bataille. "Au bout de plusieurs mois, l'immunité est fatiguée et lève la couverture radar. Vous pouvez alors réveiller un virus lent que vous avez depuis l'âge de six ans ou des cancers qui étaient auparavant neutralisés."
Des signaux précurseurs
Il y a un "effet cliquet", explique-t-il. Une fois la maladie déclenchée, le retour en arrière est difficile. Et pourtant l'organisme a émis de nombreux signaux précurseurs dans les années précédentes.
"C'est vrai pour le diabète, l'hypertension, l'arthrose, beaucoup de maladies. Cet effet cliquet prend du temps. Il faut cinq, dix, quinze ans pour faire un diabète, on a amplement le temps de prendre les mesures. Mais on ne le fait qu'à partir du moment où la maladie est installée car nous sommes dans un système de santé basé sur la thérapeutique et non sur la prévention."
Une nouvelle spécialité : inflammologue ?
La flore bactérienne intestinale est un marqueur fiable de l'état de santé. "Elle annonce les signes irréversibles des maladies bien avant leur déclenchement. Elle est l'organe de détection, de prévention et demain peut-être de traitement. Nous sommes au tout début de l'histoire."
En souriant, Réginald Allouche propose donc que la médecine adopte une nouvelle spécialité : inflammothérapeute ou inflammologue. "C'est la vraie médecine, la plus noble : celle qui empêche de tomber malade."
*Intervention dans le cadre des Rencontres des médecines alternatives et complémentaires du 10/10/15 à l'hôpital Tenon.
Réginald Allouche est auteur notamment de La méthode anti-diabète, éditions Flammarion
En savoir +
Une alimentation respectueuse du microbiote
Quelques règles générales :
- prendre plaisir à manger ;
- diversifier l'alimentation ;
- éviter les aliments industriels (toxicité des additifs en association) ;
- consommer des produits bio proches du lieu de production (toxicité de certains champignons) ;
- maintenir un apport calorique suffisant pour garder l'activité physique ;
- consommer des fibres à chaque repas, solubles et insolubles ;
- privilégier les sucres à indices glycémiques bas ;
- éviter les antibiotiques (surtout chez l'enfant avant deux ou trois ans) ;
- respecter l'équilibre acido-basique ;
- équilibrer la balance oméga 3/oméga 6 de 1 à 5 (les premiers sont anti-inflammatoires, les seconds pro-inflammatoires) ;
- assurer un minimum d'heures de sommeil.
La bonne répartition
Glucides : 50 % (privilégier les indices glycémiques bas, donc les faibles cuissons).
Protéines : 20 %.
Lipides : 30 % de lipides (un minimum de graisses saturées, pas de graisses trans).
Attention au gluten !
"La production de gluten en France est passée de 20 000 tonnes à 260 000 tonnes de 1980 à 90, son importation est passée de 596 tonnes en 1973 à 18 503 tonnes en 1985. Je ne vois pas pourquoi ne s'appliquerait pas au gluten ce qui s'applique à l'alcool : boire un ou deux verres de vin rouge tannique, c'est bon pour la santé ; en boire dix, ce n'est pas bon ! L'homme n'est pas fait pour ingérer une telle quantité de gluten."
85 %
de la sérotonine
(hormone du plaisir de vivre)
secrétée par la flore intestinale
10 %
de nos neurones
sont autour
de l'intestin
10 fois plus
de bactéries
dans notre tube digestif
que de cellules dans notre corps