À côté des stars, les cépages moins connus apportent une touche déterminante à la personnalité de certains crus. Ils contribuent à la richesse et à la grande variété aromatique de nos vins…
Sommaire
- Sauvegarder nos épices
- Pineau d'Aunis : élégance et finesse
- Le Sylvaner rouge : comme un Gewurztraminer ?
- Le Bourboulin : minéralité et fraîcheur
- Réapprendre les cépages oubliés
Au départ, tout est question de cépage : quelle variété de vigne utilise-t-on pour fabriquer un vin ?… En France, seuls une dizaine de cépages représentent 70 % de la surface cultivée. Il n'y a pas besoin d'être un grand oenologue pour avoir entendu parler du Merlot, du Gamay, du Sauvignon ou du Cabernet franc… Ces cépages sont des stars, d'autant plus que les marchands de vin suivent une mode marketing venue notamment des États-Unis : ils les affichent sur l'étiquette et en font un vecteur de communication.
Sauvegarder nos épices
Mais il serait dommage de passer à côté de toute une diversité de cépages oubliés ou méconnus. Pour Eric Nicolas, du Domaine de Bellivière, en Pays de Loire, ce serait même un non-sens. "Supprimer les cépages oubliés c'est comme si on supprimait les épices dans la cuisine. Il existe plus de 6 000 cépages dans le monde : pourquoi résumer à quelques cépages notre culture viticole ? Il faut sauvegarder nos épices !"
Pineau d'Aunis : élégance et finesse
Dans son domaine, Eric Nicolas cultive le Pineau d'Aunis sur plus de 80 % de la surface. "C'est un cépage qui apporte aux vins des arômes d'épices, de fruits noirs, de réglisse."
Viticulteur dans le Saumurois, Guillaume Reynouard, du Manoir de la tête rouge, en raconte l'histoire : "Tous nos cépages sont originaires de la mer Caspienne, ils ont voyagé il y a environ 1 500 ans jusque chez nous et ont muté en s'acclimatant. On a commencé à donner des noms aux différentes mutations à partir du 15e siècle. Le premier cépage qui apparaît dans la littérature c'est le Gamay. Les parcelles de blanc, c'était les Fromenteaux, les parcelles de rouge les Mourillons. Les belles parcelles qui donnaient les jolis vins, très peu colorés, c'était les Pineaux. Les Pineaux qu'on connaît aujourd'hui sont toujours des raisins qui apportent peu de couleur mais qui ont beaucoup d'élégance et de finesse. Le Pineau d'Aunis, qu'on appelle aussi Chenin noir, en fait partie."
Dans le Saumurois les viticulteurs ont ensuite abandonné le Pineau d'Aunis. "On cherchait à l'époque des vins structurés, des vins de puissance. Aujourd'hui, nous sommes trois ou quatre viticulteurs en Saumurois à replanter et réapprendre le Pineau d'Aunis."
Le Sylvaner rouge : comme un Gewurztraminer ?
Au cours de l'Histoire, il est arrivé parfois que les viticulteurs abandonnent des cépages pour des raisons surprenantes.
C'est le cas par exemple du Sylvaner rouge que tient à réhabiliter Christophe Ehrhart, directeur général du Domaine Josmeyer en Alsace.
"Aujourd'hui le Sylvaner rouge n'existe quasiment plus alors que c'était le cépage le plus planté en Alsace jusqu'au 19e siècle. Il donne un raisin qui a la même configuration et la même couleur que le Gewurztraminer. La petite histoire dit qu'au début du 20e siècle il y avait des vignerons alsaciens qui vendaient au négociant ou à la coopérative des récipients de 100 kg où il mettait deux tiers de Sylvaner rouge et un tiers de Gewurztraminer sur le dessus, le tout au prix du Gewurztraminer. Les acheteurs s'en sont rendus compte et ont fait interdire le Sylvaner rouge."
"En 1995", poursuit Christophe Ehrhart, "on a constaté qu'on avait des pieds de Sylvaner rouge sur le Domaine Josmeyer. Au lieu de les arracher, on les a reproduit dans une pépinière privée et on les a replantés sur le même terroir. Nous avons ensuite intercédé pour que la législation reconnaisse son existence. Elle le tolère actuellement à hauteur de 5 % dans un assemblage. Ce serait dommage de se couper d'une qualité variétale et d'une complexité aromatique plus importante que le Sylvaner à peau blanche, simplement parce qu'autrefois des petits malins essayaient de gagner de l'argent sur le dos des acheteurs de raisin !"
Le Bourboulin : minéralité et fraîcheur
Mais encore faut-il savoir travailler des cépages qui se comportent quelquefois de manière inattendue ! C'est ce qu'a appris Eric Saurel, du Domaine de Montirius, avec le Bourboulin : "Notre Vacqueyras blanc est composé de Grenache blanc, de Roussane et 50 % de Bourboulin. Dans la région le Bourboulin n'est pas apprécié : on le considère comme un cépage qui ne mûrit pas, qui donne des arômes très verts, énormément d'acidité. Les vignerons ont oublié que, comme tous les autres cépages, il faut le ramasser à maturité ! Mais alors que le Grenache et la Roussane sont ramassés tout début septembre, il faut attendre fin octobre-début novembre pour avoir des Bourboulins mûrs. Et quand il est mûr, c'est une excellente base pour donner de la minéralité et de la fraîcheur, ce qui nous permet de mettre en avant les qualités aromatiques du Grenache blanc et de la Roussane."
Réapprendre les cépages oubliés
Les derniers cépages développés par l'INRA datent des années 1950-60. "À cette époque-là, il y avait deux critères de base : le rendement et la résistance aux maladies", précise Olivier Humbrecht, du Domaine Zind-Humbrecht, président de Biodyvin.
Selon lui, les cépages méconnus ou oubliés peuvent avoir un intérêt en terme de goût et de structure. Mais il faut réapprendre à les travailler et ne pas écarter l'hypothèse qu'ils puissent être obsolètes (voir encadré).
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Le Knipperlé : trop fragile ?
Il y aurait aussi des cas de cépages méconnus… à juste titre.
Olivier Humbrecht en a fait l'expérience avec le Knipperlé qui recouvrait quasiment 95 % du cépage alsacien au 18e siècle et qui a complètement disparu depuis.
"En 2001 on a planté dans une de nos parcelles de Riesling une cinquantaine de pieds de Knipperlé. Résultat : ils sont bouffés par les maladies. Ils sont extrêmement sensibles à l'oïdium. Donc si on a arrêté de planter du Knipperlé en Alsace, c'est peut-être simplement parce qu'il avait une fragilité qui a été résolue avec l'apparition de nouveaux cépages, Riesling, Gewurztraminer ou autre." Mais Olivier Humbrecht émet également une autre hypothèse : "C'est un cépage qui n'a quasiment pas d'acidité. On peut le vendanger beaucoup plus tôt, si on se contente d'un degré d'alcool à 6° ou 7°." Le vin issu du Knipperlé correspondait donc peut-être au goût de l'époque, différent de celui d'aujourd'hui.