Faut-il vraiment déconstruire les hommes ?

Faut-il vraiment déconstruire les hommes ?

Dans la mesure où les comportements masculins toxiques relèvent d’un défaut de construction des hommes, est-il bien raisonnable de les enjoindre à se déconstruire ? Ne faudrait-il pas plutôt les encourager à traverser les trois étapes d’initiation qui feront d’eux des hommes justes, éveillés, avisés ?

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Sommaire

- Un bilan mondial catastrophique
- Les avancées du sexisme en France
- La déconstruction : une fausse bonne idée
- Trois étapes d’initiation
- Meurtre symbolique de la mère : éviter la misogynie
- Les hommes “initiés”
- Des hommes justes

Chez certains, c’est devenu une injonction : l’homme devrait être déconstruit. Il devrait tourner le dos à la masculinité toxique, aux attitudes hégémoniques, violentes, agressives et misogynes…
Mais ces comportements réputés masculins sont-ils le fait d’un homme construit ou au contraire d’un homme inachevé ? Que signifierait donc déconstruire quelqu’un qui, précisément, manque de construction ? 

Hélène Vecchiali, psychanalyste, propose aux homme une voie d’émancipation qui se distingue à la fois de la réaction masculiniste et du militantisme féministe.
“Je suis convaincue que les hommes de bonne volonté n’ont nul besoin d'être rééduqués, comme des fils, en se pliant à des modèles anciens ou prétendument progressistes. Ils sont capables d'une autre voix, plus ardue : la leur et non la mienne !”*
(Voir : Vers une masculinité tranquille et Repenser la virilité stoïque)

Un bilan mondial catastrophique
Face à l’inégalité des sexes, face à la souffrance vécue par les femmes au quotidien, face à la violence d’un déséquilibre historique qui perdure, il semble parfaitement justifié que les féministes cherchent à métamorphoser les comportements masculins (voir : Hommes-femmes à l’aube du 21e siècle). 

Il n’est pas inutile de rappeler le bilan des violences et du sexisme dans le monde : 
- toutes les 10 minutes, une femme est tuée ; 
- 13 millions de filles entre 10 et 12 ans sont mariées chaque année ; 
- 200 millions de filles et de femmes ont subi des mutilations génitales ;
- 60 millions de filles ne vont pas à l'école ; 
- 2,4 milliards de femmes ne possèdent pas les mêmes droits économiques que les hommes.*

Les avancées du sexisme en France
On pourrait croire que dans un pays comme la France, le problème est résolu. Malheureusement, il n’en est rien : un rapport de 2024 du Haut Conseil à l’égalité pointe du doigt  les avancées du sexisme, incubé dès le plus jeune âge dans la famille, l’école et le numérique… 
La liste est longue :
- les stéréotypes de genre se renforcent chez les hommes ; 
- plus de femmes renoncent à leur liberté ; 
- le taux de violences sexuelles est de plus en plus alarmant ; 
- il existe encore des inégalités de traitement dans de nombreux domaines ; 
- les tâches domestiques sont toujours inégalitaires ; 
- il subsiste de nombreux biais sexistes à l’école ;
- l’industrie pornographique fait des ravages ;
- etc…

La déconstruction : une fausse bonne idée
Néanmoins, selon Hélène Vecchiali, ce n’est pas une bonne idée que la métamorphose nécessaire des hommes se conçoivent sur un mode de déconstruction. 
“D'abord, déconstruire les hommes supposerait que ceux-ci sont mauvais par nature et, tels des lions sauvages et cruels, il faudrait les castrer avant de les dresser.”*
La suite du raisonnement appartient à la pure logique : on ne saurait déconstruire ce qui n’a pas été édifié.
“Un homme toxique est par définition non construit, donc non dé-constructible.”*
Le dernier argument est d’ordre psychologique : si l’on attaque la question de front et si la contrainte vient des femmes, la démarche a de fortes chances d’engendrer chez les hommes une résistance, une aggravation, un déplacement ou, au mieux, une évolution superficielle. La démarche ne peut être que personnelle et non la réponse à une injonction.

Trois étapes d’initiation
En quoi consiste cette démarche ? Elle se fait en trois étapes, selon Hélène Vecchiali. L’homme en quête d’initiation, de dépassement de soi, prend d’abord conscience de son imposture. Il se révolte ensuite contre ses figures tutélaires en tuant symboliquement son père et sa mère. Enfin, il récolte le gain de ce travail : la prise de pouvoir sur sa propre existence.

Meurtre symbolique de la mère : éviter la misogynie
Le meurtre symbolique de la mère est en psychanalyse un sujet tabou encore peu exploré. Lorsqu’un homme manque cette coupure symbolique, il n’a pas encore entamé son passage initiatique, il ne s'est pas défait de sa fascination pour sa maman ni du poids de cette dépendance. 
Conséquences : des sentiments envers sa mère au mieux ambivalents (amour/haine), au pire exclusifs (haine). Cette séparation symbolique inaccomplie conduit à une forme de misogynie qui se déplace souvent de la mère à la femme.

Les hommes “initiés”
Comme autrefois après les rites de passage des anciennes cultures, l’homme qui a franchi les trois étapes devient un homme “initié” (voir encadré).
“Pour les individus, on sait à présent comment les hommes initiés récupèrent leur liberté psychique, la possibilité de se réaliser pleinement seul, auprès des hommes comme auprès des femmes. Pour la collectivité, on sait que le patriarcat n'est ni plus ni moins qu'une somme d'individus à initier”*, affirme Hélène Vecchiali.

Des hommes justes
Parce qu’ils ont su creuser leurs fondations, les hommes de bonne volonté sont des hommes éveillés, avisés.
“Aujourd’hui, nous avons besoin d'hommes égalitaires, hostiles au patriarcat, épris de respect plus que de pouvoir. Juste des hommes mais des hommes justes”*, conclut Hélène Vecchiali en citant Ivan Jablonka, historien et écrivain français.


*La déconstruction des hommes, Une fausse bonne idée, Hélène Vecchiali, éditions Guy Trédaniel

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Hommes initiés : ça s’empêche et ça s’oblige

Un homme, ça s’empêche
Dans le sillage de la phrase de Camus “un homme, ça s’empêche”… Un homme initié s’empêche de céder à ses pulsions, de suivre des ordres injustes, de suivre le troupeau, de céder à la facilité.
“Concrètement, c'est faire face aux épreuves, surmonter les contraintes, respecter ses engagements, accueillir la souffrance comme une source de transformation, se dépasser physiquement”, précise Hélène Vecchiali, psychanalyste. “Ainsi, l’effort façonne sa force intérieure et la discipline amène à l'autonomie, à une forme de sagesse et à une véritable puissance. En somme, c'est avoir conscience de sa mission de vie.”*

Un homme, ça s’oblige
Il faut ajouter à cela : "un homme, ça s’oblige”. L’homme initié s’oblige à être courageux, à faire ce qu’il dit, à respecter autrui.
"Un homme initié ne peut pas se permettre de dire une chose et d'en faire une autre. Il a traversé des épreuves qui l’ont amené à une grande rigueur morale et à une certaine discipline lui imposant une cohérence entre ses paroles et ses actes. Son évolution personnelle repose sur cette fidélité à la parole donnée.”* 

Vie Saine et Zen