En péril du fait du réchauffement climatique et d’une exploitation désastreuse à base de "coupes rases", nos forêts pourraient être protégées grâce à une nouvelle forme de sylviculture, douce et durable.

Sommaire
- Plantes médicinales et dépolluantes
- Une forme d’intelligence
- La triple peine
- Filière bois : une gestion désastreuse
- L’ONF : "usine à bois" ?
- Bois de chauffage : une fausse bonne idée
- Une action forte est nécessaire
- Sylviculture mélangée à couvert continu
- Développer des "réserves biologiques intégrales"
- Réhabiliter les écosystèmes
Les arbres contribuent à la beauté des paysages, ce qui n’est pas rien.
“Ils étaient sur terre avant nous et il nous survivront (à condition, bien entendu, que nous ne les massacrions pas)”, affirme Sophie Coignard, journaliste. “Leur doyen est âgé d’environ 5000 ans.”*
Plantes médicinales et dépolluantes
Mais les arbres n’ont pas seulement une vertu esthétique…
Ils nous soignent : la quinine est un antipaludéen issu de l'écorce de quinquina, l'eucalyptus et le camphrier sont célèbres pour leurs vertus décongestionnantes, le saule blanc fournit de l'acide salicylique, précurseur de l’aspirine, l’if produit le taxol, un anticancéreux, le noyer noir le juglone aux propriétés antiparasitaires… On peut aussi les câliner : la pratique apaisante et ressourçante venue du Japon, le Shinrin yoku, se développe de plus en plus (voir : La sylvothérapie ou les bienfaits des bains de forêt).
Les arbres purifient l’air que nous respirons et l’eau que nous buvons : par la photosynthèse, ils absorbent autant de dioxyde de carbone que les océans et libèrent de l’oxygène. Leurs feuilles captent les particules fines des polluants. Leurs racines stabilisent les sols, limitent l’érosion et filtrent certaines substances toxiques avant qu’elles n’atteignent les nappes phréatiques.
Une forme d’intelligence
Depuis quelques années, on découvre l’ingéniosité des arbres : la synergie qu’ils développent avec les réseaux mycorhiziens (association de leurs racines avec les champignons) ou les substances qu’ils émettent pour se protéger des prédateurs…
“Ainsi, les arbres ne sont-ils pas des proies passives mais des organismes sophistiqués, capable de détecter une attaque et de développer une réaction rapide qui protège toute la communauté”*, précise Sophie Coignard.
La triple peine
Problème : le réchauffement climatique provoque un stress hydrique qui fragilise les arbres, favorise l’infestation par les parasites et la pullulation d’insectes ravageurs. C’est la “triple peine”. Vient s’ajouter à cela l’attaque des phénomènes climatiques extrêmes (tempêtes, incendies, inondations, canicules…), de plus en plus fréquents.
On assiste ainsi, en France aujourd’hui, selon l’IFN (Inventaire forestier national), à un doublement de la mortalité des arbres en dix ans, un ralentissement de l’accroissement biologique et une moindre absorption du carbone par les forêts.
“Par conséquent, l'objectif de neutralité carbone en 2050, qui semblait raisonnable en 2010, est devenu illusoire.”*
Filière bois : une gestion désastreuse
À cela s’ajoute une gestion désastreuses des forêts par la filière bois qui a pris la détestable habitude d’effectuer des coupes rases : on coupe tout, on retourne le sol, on l'amende, on replante (généralement que des arbres de la même espèce) et on recommence. On obtient au final des “champs d’arbres” qui ne disposent plus de leur réseau mycorhizien, qui contribuent à la diminution de la biodiversité et constituent un espace idéal pour la prolifération des ravageurs.
"Ces coupes rases endommagent durablement les sols qui mettent plusieurs décennies à retrouver leur état et leur vitalité d’origine."*
L’ONF : "usine à bois" ?
L’ONF (Office national des forêts) a en charge environ 25 % de la surface forestière française métropolitaine et il est à l’origine de 40 % du volume de bois produit en France. Cet organisme public est la parfaite illustration des errements et des ambiguïtés de l’État.
Il doit à la fois "ne pas perdre d'argent, garantir pour partie l’approvisionnement de la filière bois, assurer la pérennité de la forêt face au changement climatique et rendre possible l'accueil du public sur les chemins forestiers"*.
Il a été obligé de réduire ses effectifs de manière drastique et aujourd’hui, selon la Cour des Comptes, ses moyens humains sont insuffisants pour remplir ses missions. Nombreux sont ceux qui craignent de voir l’ONF se transformer en "usine à bois".
Bois de chauffage : une fausse bonne idée
Le bois de chauffage est un exemple très parlant des contradictions de l’État. Son usage est encouragé au titre d’une prétendue "neutralité carbone". Sa combustion émet du CO2 qui serait réabsorbé par la repousse des arbres. Sauf qu’il y a un léger hiatus temporel : le carbone est immédiatement rejeté dans l’atmosphère alors que la forêt met des décennies à le capturer de nouveau.
"Résultat : cette énergie dite renouvelable pourrait, à court terme, aggraver le problème qu'elle prétend résoudre"*, s'inquiète Sophie Coignard.
Une action forte est nécessaire
Les scientifiques, dans leur ensemble, appellent à une action forte et coordonnée : limitation drastique des coupes rases, encouragement à la régénération naturelle, meilleure gestion des ressources en eau et, en dernier recours et avec parcimonie, adaptation des essences forestières au climat futur.
(Voir : La forêt un espace à protéger)
Sylviculture mélangée à couvert continu
Il existe une forme de sylviculture qui prend en compte toutes ces contraintes. La SMCC (sylviculture mélangée à couvert continu) favorise la cohabitation d'arbres d'espèces, de tailles et d'âges différents. Elle permet à la forêt de mieux résister aux outrages de l’époque et elle est plus productive que les parcelles en monoculture ! Ce sont des experts forestiers qui ont conçu cette forme d’exploitation forestière au sein de l’association Prosilva et sont à l’origine d’un projet de loi transpartisane déposée en février 2024. Mais ils ne parviennent pas à convaincre la profession et les gouvernements successifs qui ne bougent pas.
Pourtant, selon Sophie Coignard, la SMCC est "une gestion forestière douce, durable, diversifiée, qui cherche à imiter autant que possible les dynamiques naturelles et qui permet de concilier exploitation et préservation"*.
Développer des "réserves biologiques intégrales"
Par ailleurs, il conviendrait de développer des "réserves biologiques intégrales", des forêts sans intervention humaine, diversifiées, vivantes et génératrices de biodiversité. En France, il en existait 75 à la fin de l’année 2024. Elles sont indispensables pour préserver les forêts, promouvoir et observer leur libre évolution.
Réhabiliter les écosystèmes
Le célèbre photographe Sebastiao Salgado a créé au Brésil un parc national et replanté plus de 3,4 millions d’arbres dans la forêt tropicale. Son message est simple : "on peut réhabiliter les écosystèmes. Rien n'est perdu. On a les ressources pour. Le problème, c'est de prendre la décision de le faire"*.
*Arbres en danger, Enquête sur un carnage végétal, Sophie Coignard, éditions Guy Trédaniel
En savoir +
Commerce du chêne : la France soumise à la Chine ?
Le chêne est l'espèce la plus présente en France (43 % des feuillus). On récolte environ 2 millions de mètres cube de chêne par an.
La demande da la filière bois française (scieries, matériaux de construction, pâte à papier, carton-emballage, pellets de chauffage…) est à peu près équivalente.
Pourtant 25 à 30 % de cette production part à l’exportation, en majeure partie en Chine.
Résultat : la balance commerciale de la filière bois est très déséquilibrée.
“Envoyer la valeur ajoutée ailleurs, c'est exactement ce que faisaient, sous la contrainte, les pays d'Afrique et d'Asie pendant la période de la colonisation”, analyse Sophie Coignard, journaliste. “Cette méthode, imposée par les nations puissantes, se nomme l'extraction coloniale. Elle repose sur l'exportation massive de matières premières vers les métropoles. Exactement ce qu'accepte la France de nos jours, dans une attitude de soumission pour le moins surprenante, pour ne pas dire choquante.”*
31 %
du territoire français métropolitain
est couvert de forêts*
75 %
de la forêt française
est privée*
46 %
du bois récolté en France
est utilisé pour le chauffage*
