Confrontés à des injonctions contradictoires quant à leur masculinité, beaucoup d'hommes sont en souffrance. Ceux qui reconnaissent leur fragilité dans le cadre d'une parole partagée entre hommes parviennent à plus de sérénité.
Sommaire
- Des modèles qui ne suffisent plus
- Des demandes contradictoires
- La position des femmes a changé
- Une quête de réalisation personnelle
- En transition
- Échanger entre hommes
- Devenir un "guerrier pacifique"
Hier il fallait qu'un homme soit fort, puissant, protecteur, conquérant, dans l'oubli de soi. Il ne devait pas pleurer, il n'avait pas d'émotion, il n'avait pas peur, il n'avait pas mal… Et voilà qu'aujourd'hui on l'accuse d'être macho, violent, prédateur, bourrin, homophobe… C'est certain, le modèle ancien a vécu (Voir : Hommes-femmes à l'aube du 21e siècle) et ce qu'il en reste met en souffrance de nombreux hommes qui se retrouvent de plus en plus souvent dans le cabinet du psy.
Des modèles qui ne suffisent plus
"Les modèles, parentaux ou grands-parentaux, sur lesquels on s'est basé ne sont plus des appuis suffisamment solides", témoigne Alain Héril*, psychanalyste et sexothérapeute. "Tout se passe comme si les hommes sentaient qu'il y avait une masculinité à inventer et qu'ils n'en n'avaient pas le mode d'emploi. L'accompagnement thérapeutique de ces hommes-là est passionnant parce qu'on est dans quelque chose où, bien-sûr il y a de l'angoisse, mais où il y a également la construction d'une nouvelle manière d'être un homme."
Des demandes contradictoires
La plupart du temps le malaise vient du fait que les hommes n'arrivent plus à saisir la demande féminine.
"J'entends souvent ce type de discours : "je suis avec une compagne qui me demande à la fois d'être tendre, attentif, présent donc féminin et en même temps d'être dans ma puissance, de prendre le leadership de la relation." Ces hommes ont l'impression d'être devant une demande contradictoire à laquelle ils n'ont pas les modalités de réponse. Depuis une cinquantaine d'années c'est quelque chose qui prend de plus en plus d'ampleur", explique Alain Héril.
La position des femmes a changé
Ce phénomène s'explique notamment par le fait que les femmes ont acquis une position très différente dans la société par la conquête de leur autonomie financière.
"Les hommes sont avec une compagne qui parfois gagne plus qu'eux, qui peut quitter la relation sans être mise à mal d'un point de vue économique. C'est quelque chose qui joue beaucoup au niveau de l'inconscient parce que l'homme n'est plus celui qui ramène l'argent à la maison, celui par lequel le foyer va vivre. Il n'est plus à une place où, par sa force et sa position, il serait le représentant de la famille."
Très souvent c'est la femme qui décide de divorcer. "70 % des divorces tardifs, après 55-60 ans, sont initiés par des femmes. L'homme se retrouve au niveau du couple dans une situation où ce n'est pas lui qui décide. C'est quelque chose qui est extrêmement nouveau. Il ne faut pas oublier que les femmes ont l'autorisation d'ouvrir un compte en banque sans l'autorisation de leur mari depuis seulement 1966 ! Je pense que dans l'inconscient collectif masculin, ces notions qui sont inscrites dans la réalité ne sont pas encore acquises."
Une quête de réalisation personnelle
On assiste aussi à une évolution qui s'articule autour de la réalisation de soi. "C'est un mouvement d'émancipation du sujet où il y a une réorganisation des priorités. La question du développement personnel, du rapport à soi, de la construction de l'estime de soi, l'essor de la spiritualité… J'entends très souvent des personnes qui se disent : "mon évolution personnelle est plus importante que mon couple ou ma famille". La réalisation du sujet n'est plus dans le couple, elle est dans une aventure intérieure. C'est quelque chose de relativement nouveau, qui implique d'autres formes de relations."
En transition
Selon Alain Héril, nous sommes dans une période de transition où de nouveaux modèles sont en train de s'inventer. "Et, comme dans toute période de transition, il y a du flou, de l'incertain, des éléments qui sont en voie de construction, qui vont peut-être s'affirmer dans les années à venir ou pas. Je travaille beaucoup avec des historiens ou des psychosociologues qui font la même analyse."
Un changement est perceptible dans la nouvelle génération : chez les hommes de 25-30 ans la relation de copinage avec les femmes, sans séduction ou recherche de lien érotique, est plus facile à établir. "Il y a une proximité qui se fait sur un terrain plus tranquille"… Quitte à désexualiser un peu la relation.
Échanger entre hommes
Il n'est pas toujours facile de trouver de la sérénité dans ce contexte.
"L'homme tranquille, celui qui n'est pas dans la peur, dans la crainte de ne pas être celui qu'il devrait être, cet homme-là se construit avec les autres hommes."
Alain Héril a constaté comment, dans ses groupes de paroles, les hommes qui partagent fraternellement avec d'autres hommes, se rendent compte qu'ils ont les mêmes problématiques (voir encadré).
"Il y a chez beaucoup d'hommes une espèce de solitude. Ils ont l'impression qu'ils sont les seuls à vivre leurs angoisses et leurs difficultés. Rencontrer les autres c'est s'apercevoir qu'ils ne sont pas seuls, que d'autres sont dans les mêmes travers, les mêmes difficultés."
Ces échanges facilitent le lien avec soi-même et favorisent une rencontre plus tranquille avec les femmes.
Devenir un "guerrier pacifique"
Cela correspond à l'idée qu'Alain Héril se fait du "guerrier pacifique" : avec d'un côté de l'affirmation, de l'agressivité sans violence, et de l'autre côté de la douceur et de la tendresse.
"Se reconnaître comme vulnérable, c'est-à-dire faillible et sensible, devient un courage constructif du masculin."
*Auteur notamment de Dans la tête des hommes, éditions Payot
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Une vulnérabilité partagée entre hommes
"Quand je suis avec un groupe de 12-14 hommes, de tous les milieux socioprofessionnels, de 25 à 75 ans, au bout d'une heure c'est la vulnérabilité qui s'exprime", raconte Alain Héril. "Vous avez un homme de 70 ans qui va raconter sa vie en acceptant d'être vulnérable, de ne pas avoir tout compris, de ne pas avoir tout réussi. Et il y a un homme de 25 ans qui va dire que, malgré la différence d'âge, il a la même sensation. Il y a alors quelque chose qui s'apaise, il y a une acceptation de cette vulnérabilité partagée entre les hommes. Personnellement je trouve ça très beau à vivre, très émouvant et, au-delà de l'émotion, c'est quelque chose qui donne de la force. C'est une vulnérabilité qui crée de la force."