Serons-nous capable demain, en 2050, de nourrir 10 milliards d'êtres humains sur terre tout en respectant la planète ? Et si la seule solution était une agriculture écologique ?
Sommaire
- Plus de bébés, plus de riches
- Augmenter de 70 % la production alimentaire
- L'agriculture intensive à bout de souffle
- L'agriculture écologique intensive
- Arrêter le labour
- Élever les vers de terre
- Mélanger les plantes
- Une nouvelle chimie "verte"
-Produire moins mais cher
- Changer notre rapport à l'agriculture
Ce soir, 800 millions de personnes iront se coucher en ayant faim. Le chiffre ne bouge pas depuis plus d'un siècle alors que la population mondiale est passée d'environ 1,8 milliards en 1900 à 7,5 milliards aujourd'hui. "Quel que soit le nombre d'habitants sur la planète il y a 800 millions de crève la faim", s'indigne Bruno Parmentier, ingénieur des mines, économiste et ancien directeur de l'École Supérieure d'Agriculture d'Angers. Il y a aussi la malnutrition avec 1 milliard de gens qui mangent la même chose tous les jours : riz, manioc… "Leur santé est gravement détériorée parce qu'ils manquent de protéines, de vitamines, de minéraux".
Plus de bébés, plus de riches
Pour faire disparaître la faim et la malnutrition, pour prendre en compte la progression démographique, il faut augmenter la production agricole en moyenne de 30 % d'ici 2050, selon Bruno Parmentier. "En Afrique, il faut la tripler. En Asie il faut la doubler."
Mais à cela s'ajoute l'enrichissement d'une partie de la population. "Il y a des centaines de millions de végétariens qui deviennent carnivores. L'Inde se met à boire du lait, la Chine se met à manger de la viande. À l'époque de Mao Ze Dong, les Chinois étaient 700 millions et mangeaient 14 kg de viande par personne et par an. Aujourd'hui ils sont 1,3 milliards et en mangent 60 kg ! Or il faut 4 kg de végétaux pour faire 1 kg de poulet. Pour le cochon c'est 6 kg, pour le bœuf c'est 11. Quand on passe de végétarien à carnivore, au lieu de manger 200 kg de céréales par an, on en consomme 800 kg."
Augmenter de 70 % la production alimentaire
Si l'on prend en compte tous ces paramètres, au final, d'ici 2050, il faudra augmenter de 70 % la production alimentaire.
Problème : comment produire 70 % en plus, alors qu'on ne peut plus augmenter les rendements de l'agriculture et que le réchauffement climatique va avoir un impact sévère partout sur la planète et particulièrement dans les pays non tempérés ?
L'agriculture intensive à bout de souffle
"Depuis les années 1950, l'agriculture c'était en résumé : plus de terres, plus d'eau, plus d'énergie, plus de chimie, plus de tracteurs, plus de gaz à effet de serre. Mais le miracle de la "révolution verte" est en train de s'estomper. Les rendements mondiaux n'augmentent plus parce que les inconvénients commencent à rattraper les avantages. Nous sommes aujourd'hui à l'an 0 de l'agriculture. Maintenant il faut moins de terres, moins d'eau, moins d'énergie, moins de chimie, moins de tracteurs, et si possible pas de gaz à effet de serre."
L'agriculture écologique intensive
La seule solution, pour Bruno Parmentier, c'est donc l'agriculture écologiquement intensive. "Quand un agriculteur se convertit en bio il perd 30 % de productivité. Il faut donc intensifier la bio."
Le secret réside dans le microbiote du sol. "Dans 1 m3 de terre, on estime qu'il y a 260 millions d'êtres vivants. Dans 1 g de terre il y a 4 000 espèces de bactéries et 2 000 espèces de champignons. Pour la plupart inconnues. L'avenir est donc de faire connaissance avec le microbiote du sol et de l'aider à faire son boulot !"
Arrêter le labour
Cette nouvelle forme d'agriculture implique un changement majeur : arrêter le labour.
"Le labour a été un symbole de l'agriculture mais aujourd'hui c'est fini, il faut arrêter de labourer. Il faut couvrir nos champs en permanence. Labourer ne sert qu'à mettre en surface les pierres, les vers de terre et l'engrais de la saison d'avant !"
Élever les vers de terre
Demain l'agriculteur s'occupera en priorité de la faune microscopique qui peuple son sous-sol. Il deviendra un éleveur de ver de terre. "Dans un champ labouré et plein de chimie, il reste 50 kg de vers de terre à l'hectare. À peine pour aller à la pêche ! Dans une prairie bio, il y a 5 tonnes de vers de terre."
Mélanger les plantes
C'est le secret de la réussite de l'agroforesterie, de la permaculture (voir : Profession : maraîcher bio). "Il faut mélanger les plantes à racines profondes et celles à racines superficielles, mélanger les légumineuses et les céréales qui s'aident à pousser les unes les autres. On va installer les plantes annuelles sur un tapis de racines d'arbres qui font remonter les éléments nutritifs de 4 ou 5 m. Il faut donc replanter des haies, des arbres. Ce qui aura pour effet, en plus, de refroidir la planète. On va découvrir un cercle vertueux", s'enthousiasme Bruno Parmentier.
Une nouvelle chimie "verte"
Il est même possible, selon lui, d'imaginer une chimie "verte" qui trouvera le moyen d'encourager le travail de la nature au lieu de se bagarrer contre elle.
"Par exemple l'engrais de demain est une terre enrichie des bonnes bactéries qui lui sont spécifiques, car chaque champ a une composition particulière. C'est un énorme défi : une autre chimie bio-inspirée qui, avec l'aide du Big Data, nous permettra de comprendre comment fonctionnent nos champs et nos bêtes."
Produire moins mais cher
Par ailleurs les différentes crises sur la lait ou la viande ont montré que la bonne stratégie, pour les agriculteurs, c'est de produire moins mais cher. "Le poulet de Loué se porte bien tout comme le lait bio."
L'exemple du vin est très parlant. "On en consommait 140 litres par personne et par an dans les années 50. On en consomme 40 litres aujourd'hui mais de meilleure qualité."
Changer notre rapport à l'agriculture
Avec l'agriculture écologique intensive, Bruno Parmentier est formel : on peut en même temps se nourrir, fertiliser la terre et refroidir la planète. "Mais il faut savoir que c'est une agriculture compliquée qui nécessite une formation. Il ne s'agit pas de faire comme avant et de réduire les pesticides. Il s'agit de changer notre rapport intime à l'agriculture."
Site de Bruno Parmentier : Nourrir, manger
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Soyons locavores
Moins de 500 km
La spécialisation du commerce qui s'est mise en place après la 2de guerre mondiale a touché aussi l'agriculture.
"Qu'est-ce que c'est que cette idée, dans une période de pénurie, d'organiser le monde pour faire circuler sur des dizaines de milliers de kilomètres des centaines de milliers de tonnes de produits périssables et pondéreux dans des pays où il n'y a même pas de routes, pour les vendre à des gens qui n'ont pas d'argent pour nous les acheter. C'est de l'escroquerie intellectuelle !", s'indigne Bruno Parmentier.
"Il faut revenir aux fondamentaux : sur les produits périssables et indispensables, chacun doit produire sa nourriture localement dans sa zone géopolitique. La nourriture de tous les jours doit venir de moins de 500 km."
Le choix de la qualité
Pour que cela fonctionne, il faut que le consommateur comprenne l'importance du choix de la qualité : aussi bien pour la planète que pour sa santé. "Le consommateur doit se dire que quand il achète un produit il achète le monde qui va avec. En France dans les années 50 on dépensait environ 35 % de notre salaire pour manger, aujourd'hui 14 %. Les américains c'est 7 %. En Afrique noire c'est 56 % en moyenne. Il faut avoir le courage de se dire qu'on ne dépense pas assez d'argent et de temps pour manger."